L’âme et le corps, deux entités que la philosophie s’est évertuée à vouloir concilier et séparer, dans un même mouvement schizophrène. Esprit libre de toute entrave physique ou Ghost in the Shell, chevillé irrémédiablement au corps ? La question se pose toujours.
Synopsis : Dans un futur proche, le Major est unique en son genre : humaine sauvée d’un terrible accident, son corps aux capacités cybernétiques lui permet de lutter contre les plus dangereux criminels. Face à une menace d’un nouveau genre qui permet de pirater et de contrôler les esprits, le Major est la seule à pouvoir la combattre. Alors qu’elle s’apprête à affronter ce nouvel ennemi, elle découvre qu’on lui a menti : sa vie n’a pas été sauvée, on la lui a volée. Rien ne l’arrêtera pour comprendre son passé, trouver les responsables et les empêcher de recommencer avec d’autres.
Humaine après tout
La possibilité de la naissance spontanée d’une nouvelle forme d’intelligence engendrée par l’informatique est clairement envisagée par les scientifiques aujourd’hui. Nul besoin de préciser que la littérature et le cinéma se sont emparés de cette hypothèse il y a déjà longtemps. L’œuvre Ghost in the Shell, dont le film de Rupert Sanders est une adaptation, est foisonnante. Depuis le manga initial publié en 1989, en passant par le premier long-métrage animé de 1995, suivi d’un deuxième opus en 2004, d’une série animée et de plusieurs OAV, le matériau propose de multiples entrées pour aborder un sujet complexe. Se saisir d’une telle masse pour créer un film calibré pour la salle de cinéma, ne dépassant pas les deux heures et ayant pour vocation d’attirer le public le plus large possible est à ce titre une gageure. Rupert Sanders, dont Ghost in the Shell est le deuxième film après Blanche-Neige et le Chasseur, a évoqué cette difficulté à faire face aux exigences radicales d’une production hollywoodienne tout en composant avec ce qui constitue le cœur de l’œuvre de départ. Une adaptation n’est pas mauvaise parce qu’elle prend des libertés avec la création originale, elle peut le devenir lorsqu’elle n’assume pas pleinement ses choix et oscille entre l’hommage policé et la proposition personnelle.

« Le progrès technologique sans encadrement pourrait se révéler nocif. On peut faire des choses formidables mais il faut avoir en tête les conséquences que cela aura. Prenez ces voitures qui se conduisent sans chauffeur, en cas d’accident mortel leur logiciel va les amener à effectuer des choix logiques sur le plan mathématique mais qui d’un point de vue éthique peuvent être discutables. Par exemple lors de la collision de deux voitures, l’une avec cinq personnes, l’autre avec un conducteur isolé, le logiciel fera le choix de sacrifier la personne seule pour préserver les cinq autres, la même mécanique se mettrait en place si on avait affaire à un conducteur jeune et un conducteur âgé, le plus âgé serait tué au profit du plus jeune. »1
Le problème de cet argument dans cette nouvelle adaptation de Ghost in the Shell, c’est qu’il est traité de manière grossière, comme si nuance et promesse de blockbuster ne pouvaient être associées. Les personnages sont très peu caractérisés et se réduisent à des stéréotypes frustrants pour certains, carrément grotesques pour d’autres. Juliette Binoche, interprétant le docteur Ouelet, la scientifique en charge de la création du corps synthétique du Major, est réduite à une figure maternelle mal dégrossie. Hollywood voit dans la figure d’une mère non-maternelle l’incarnation du Mal absolu et est incapable de produire des personnages qui détacheraient la femme de son éternel statut de mère aimante, tout en restant un protagoniste positif. Peter Ferdinando interprétant Cutter, le directeur d’Hanka, l’entreprise de composants cybernétiques, est le personnage le plus bancal et le moins convaincant. Il n’est qu’un méchant lambda dont les motivations sont faibles. Il est associé aux forces militaires, il est donc mauvais et c’est tout ce qui le définit. Ce traitement infligé aux personnages est dramatique, il leur ôte du même coup tout intérêt mais vient aussi affaiblir considérablement la portée du film. Dans un film qui se prétend héritier de l’animé Ghost in the Shell, force est de constater que la richesse psychologique des personnages et la complexité de l’univers présenté (l’intrigue politique est, elle aussi, malmenée dans le film de Sanders et réduite à une forme embryonnaire ridicule au profit des scènes d’action) sont les grands absents de cette adaptation hollywoodienne.

Au final, cette nouvelle adaptation de la franchise Ghost in the Shell est un divertissement qui se laisse regarder mais dont les approximations viennent parasiter le visionnage. On a affaire à une adaptation simplifiée et lissée d’une œuvre initiale plus ambiguë qui laissait plus de place au spectateur et à sa réflexion. Dans l’animé on trouve de nombreuses scènes sans dialogue servies par une musique inoubliable de Kenji Kawaï (Death Note, le film, Ring) qui appellent à la contemplation et à l’introspection. Elles n’existent pas dans le film de Sanders. Le cinéma américain s’inscrit pour l’essentiel dans une industrie du divertissement : flatter le consommateur, aller vers une uniformisation inoffensive du regard et ne pas lui présenter un produit jugé trop subversif pour espérer le faire revenir. En disant s’inscrire dans la filiation de l’œuvre première, Sanders espérait produire avec ce film « des images qui nous hanteraient », le succès est en demi-teinte, l’oubli n’est jamais loin.
Ghost in the Shell : bande annonce
Ghost in the Shell : fiche technique
Réalisateur : Rupert Sanders
Scénario : d’après le manga The Ghost in the shell de Masamune Shirow
Jamie Moss, William Wheeler
Interprétation : Scarlett Johansson (Major), Pilou Asbæk (Batou), Takeshi Kitano (Aramaki), Juliette Binoche (Dr. Ouelet), Michael Pitt (Kuze), Chin Han (Han), Danusia Samal (Ladriya), Lasarus Ratuere (Ishakawa), Yutaka Izumihara (Saito), Tawanda Manyimo (Borma), Peter Ferdinando (Cutter), Anamaria Marinca (Dr. Dahlin) etc…
Image : Jess Hall
Montage : Billy Rich, Neil Smith
Musique : Lorne Balfe, Clint Mansell
Producteurs : Ray Angelic, Ari Arad, Avi Arad, Michael Costigan, Steven Paul
Producteurs exécutifs : Tetsuya Fujimura, Mitsuhisa Ishikawa, Jeffrey Silver
Distribution : Paramount Picture
Durée : 107 minutes
Genre : Science fiction
Date de sortie : 29 mars 2017
États-Unis – 2017
1.Citation du réalisateur tirée du débat d’après séance
