Si l’on évoque le nom de Francis Ford Coppola, il y a fort à parier que vous vienne à l’esprit Le Parrain, Apocalypse Now, ou encore Dracula. Mais moins nombreux sont les gens pour qui Coppola rime avec Twixt. Et pour cause, dernier film du réalisateur, Twixt fait souvent office de vilain petit canard de la filmographie de Coppola, et ce malgré le fait qu’il soit à bien des égards, son film le plus personnel.
Synopsis : Hal Batimore, auteur de seconde zone alcoolique, se rend dans une petite ville pour une séance de dédicace. Il y fait la rencontre du shérif de la ville, Bobby Lagrange, qui lui parlera d’étranges affaires de meurtres: un tueur en série sévirait dans sa ville, dont le modus operandi est de planter un pieu en bois dans le cœur de ses victimes. D’abord sceptique et peu intéressé, Baltimore fait un rêve la nuit même, dans lequel il fait la rencontre d’une enfant, Virginia (ou V.), et d’Edgar Allan Poe (le seul et unique). Ceux-ci le guideront et lui feront découvrir une facette très mystérieuse de la petite ville: en plus de cette affaire de serial killer, la ville serait hanté par le souvenir d’un meurtre multiple d’enfants. A son réveil, l’auteur voit dans cette ville une occasion en or d’écrire un nouveau et dernier roman, qui le fera sortir de sa mauvaise passe financière, et le fera reconnaître auprès du grand public. Mais les secrets de la ville feront résonner le lourd souvenir du décès de sa fille, et Baltimore devra faire face à ses propres démons.
Twixt est le dernier film à ce jour réalisé et scénarisé par Francis Ford Coppola. Sorti en 2012, le film a tendance à passer inaperçu aux côtés des références du réalisateur. Et pour cause, la critique est restée assez mitigé lors de sa sortie en salle en France (le film n’ayant pas bénéficié de sortie en salles aux États-Unis), tandis que la critique américaine paraissait dans l’ensemble, parfaitement déçu du résultat: The Hollywood Reporter l’a d’ailleurs décrit comme « le plus stupide des films de Coppola ». Pourtant, le projet avait tout pour plaire sur le papier. Twixt ayant l’originalité d’avoir été auto-financé par Coppola via sa société de production, American Zoetrope, le réalisateur a bénéficié d’une liberté artistique conséquente pour le mener à bien. D’ailleurs, Francis Ford Coppola précise dans une interview (vous trouverez le lien en fin d’article), avoir commencé sa carrière en tant que scénariste, puis qu’après Le Parrain sa carrière s’est réellement emballée. Il confie à ce sujet qu’il avait la réelle envie de retrouver les sensations du début de sa carrière, de se retrouver, ce que Twixt lui a permis de faire. Le film est de plus, porté par un casting de choc: Val Kilmer est excellent dans le rôle principal, tandis que le rôle du shérif Bobby Lagrange est tenu par un Bruce Dern, décidément très en forme. Notons également la présence de Elle Fanning dans le rôle de Virginia, 4 ans avant de véritablement marquer le genre de l’Épouvante-Horreur dans The Neon Demon (2016). Comment expliquer alors des critiques si partagées ? Le reproche principal fait à ce film par les critiques est son éclectisme, le fait que l’intrigue tout comme la réalisation semblent en complète roue libre et partent « dans tous les sens ». Et force est de constater que si Twixt se veut comme une véritable expérience artistique (dans tous les sens du terme), ce genre d’expérience n’est pas au goût des spectateurs les moins attentifs et reste du ressort des cinéphiles sachant lire et analyser un film tout en le prenant pour ce qu’il est.
« Ne te détourne jamais de moi,
ou depuis la tombe je me vengerai de toi. »
Le premier point important à relever est l’esthétisme démesuré du film. En effet, le film est beau. Très beau même. Alternant phases réelles et phases de rêves, la photographie se veut propre, académique même. Puis, elle bascule lentement, au propre comme au figuré, lors des séquences de rêves, vers une orgie visuelle onirique autant que mélancolique. Seuls quelques éléments du décor ou des personnages sont alors en couleur afin de les mettre en valeur sur un ensemble noir et blanc. La teinte de couleur des rêves se veut ainsi particulièrement gothique: le noir, les teintes de gris, le blanc, et le rouge prédominent. Ce qui illustre avec brio le gothique exacerbé des thèmes abordés par le scenario. Notons également que le film se permet deux scènes en 3D, d’environ 5 minutes chacune. Même si cet essai à la 3D reste assez timide, elle montre davantage le soucis d’esthétisme de Twixt. Ces deux scènes sont indiquées par une animation de lunettes 3D apparaissant et englobant l’écran. Cette animation, assez drôle, témoigne de la manière décomplexée qu’à Coppola d’aborder l’aspect visuel de son film, et révèle que Twixt a la volonté de se placer en dehors des cadres esthétiques traditionnels du cinéma. En ce sens, Twixt devrait plutôt se placer dans la catégorie des films d’auteur. Pourtant, celui-ci se veut un mélange des genres cinématographiques. Incorporant l’imaginaire au sein du réel, par une barrière entre rêve et réalité se détériorant au fil de l’intrigue, ce film se définie clairement par les procédés du film fantastique. Cependant, traitant aussi des codes de l’Épouvante-Horreur, et de créatures récurrentes du genre, les vampires (ce qui n’est pas sans rappeler que Coppola a aussi réalisé une adaptation de Dracula 20 ans plus tôt), Twixt est aussi très souvent rattaché à celui-ci. En outre, l’intrigue mettant aussi en scène une enquête policière sur les exactions d’un serial killer, le film est aussi à ranger parmi les Thrillers. Enfin, il se veut aussi Comédie: certaines scènes ayant une volonté affirmée de provoquer le rire chez le spectateur. Vous l’aurez compris, Twixt est un melting-pot de genres cinématographiques, ce qui n’est pas sans rappeler la liberté artistique dont le réalisateur à jouit pour la création de son film.
« - Qu’est-ce qui vous ramène sans cesse en ce lieu?
- Un mystère que je voudrais élucider. »
Edgar Allan Poe apparaît dans le film sous les traits de Ben Chaplin, et joue le rôle de guide dans la quête de réponses et d’inspiration du personnage de Hal Baltimore. La simple présence de cet auteur du XIXe siècle est un fait notable en soit, mais le film ne s’arrête pas là. En fait, Twixt foisonne de références à l’œuvre d’Allan Poe. La plus frappante est la récurrence du beffroi de la petite ville, véritable leitmotiv du film. Celui-ci présente 7 cadrans sur son clocher, mais aucune de ces horloges ne donnent la même heure ; laissant imaginer aux habitants qu’un démon vivrait dans le beffroi, ou que celui-ci serait maudit ou hanté : référence évidente à sa nouvelle Le Diable dans le Beffroi (qui est d’ailleurs l’une des mes favorites du maître). Une référence à une autre de ses nouvelles, Le Cœur Révélateur, est aussi identifiable lorsque le personnage de Virginia se fait emmurer vivante. Et ce n’est d’ailleurs pas anodin si ce personnage porte le même nom que la femme d’Edgar Allan Poe, Virginia Poe, décédée en 1847. En outre, les divers dialogues entre les deux auteurs du film, traitent de différents travaux de Poe, et évidemment, de son chef-d’œuvre : Le Corbeau. Dans le film, Hal Baltimore considère cet auteur comme son maître à penser. Or, Francis Ford Coppola est lui aussi très inspiré par l’œuvre de Poe dans son propre travail, ce que l’on perçoit d’ailleurs très clairement dans les nombreuses références citées ci-dessus. Un parallèle est ainsi fait entre l’auteur dans le film, Baltimore, et l’auteur du film, Coppola. Et là est toute la puissance littéraire de Twixt. Ainsi, Hal Baltimore, à la recherche de l’inspiration pour son dernier livre, est l’avatar de Francis Ford Coppola, à la recherche d’inspiration pour son dernier film. Or, comme Edgar Allan Poe l’a lui-même déclaré : « la mélancolie est le plus légitime des tons poétiques », le personnage de Hal Baltimore est torturé et hanté par le souvenir de la mort de sa fille, Vicky, décédée dans un accident de bateau ; de la même manière que le fils de Coppola, Gian-Carlo, en 1986. Le réalisateur a confié à de nombreuses reprises le besoin qu’il avait d’exorciser ce douloureux souvenir, et l’on comprend alors tout le poids des émotions et la dimension absolument cathartique du film: qui s’exprime magnifiquement dans une scène grandiose et libératoire, où Hal Baltimore est mis face au douloureux souvenir du décès de sa fille.
Véritable expérience cinématographique bousculant les genres, et se voulant film d’auteur autant que film de genre, mais aussi expérience esthétique décomplexée, Twixt est un film qui mérite d’être vu et analysé. Le film est de ces perles méconnues qui ne laisseront jamais indifférent tout cinéphile qui se respecte. Probablement le film le plus poeien qui soit, sans être une adaptation directe d’une des œuvres de Poe, Twixt est un indispensable pour tous admirateurs de l’œuvre de l’auteur. Mais un indispensable aussi pour tous ceux qui s’intéressent à la filmographie de Francis Ford Coppola, car ils y trouveront un film où le réalisateur a jouit d’une réelle liberté artistique, et où son travail, son inspiration, et les douleurs de sa vie, trouvent un écho dans l’intrigue du film. Pour ces raisons, nous clamons ici haut et fort que non, Twixt n’est pas le « vilain petit canard » de la filmographie du réalisateur, mais qu’il fait partie au contraire, de ses meilleurs films.
Intervention de Francis Ford Coppola du 10 août 2012 (en anglais) au cinéma Sundance Kabuki de San Francisco.
Pour plus d’anecdotes concernant le film Twixt et son tournage, je vous renvoie également à ce lien Allociné, où j’ai glané quelques informations intéressantes pour la rédaction de mon article.
Twixt : Bande-annonce
Twixt : Fiche Technique
Réalisation : Francis Ford Coppola
Scénario : Francis Ford Coppola
Interprétation : Val Kilmer, Bruce Dern, Elle Fanning, Joanne Whalley, Ben Chaplin,
Directions musical : Dan Deacon, Osvaldo Golijov
Direction artistique : Jimmy DiMarcellis
Décors : Katherine Covell
Costumes : Marjorie Bowers
Photographie : Mihai Malaimare Jr.
Montage : Robert Schafer, Kevin Bailey et Glen Scantlebury
Musique : Dan Deacon et Osvaldo Golijov
Production : Francis Ford Coppola
Producteurs délégués : Anahid Nazarian et Fred Roos
Producteurs associés : Masa Tsuyuki et Josh Griffith
Société de production : American Zoetrope
Société(s) de distribution : Pathé Distribution (France)
Format : Couleurs - Cinéma numérique
Budget : 7 millions $
Genre : Horreur, épouvante, thriller
Durée : 90 minutes
Date de sortie : 11 avril 2012
Etats-Unis - 2012
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